L'EXPLOITATION

DE LA TERRE REFRACTAIRE

L'Hôtel des Terrasses, témoin du passage des charrois...
L'Hôtel des Terrasses, témoin du passage des charrois...
L'Hôtel des Terrasses, aujourd'hui.
L'Hôtel des Terrasses, aujourd'hui.
La montée des boeufs tirant des charrois qui serviront à redescendre de la terre réfractaire.
La montée des boeufs tirant des charrois qui serviront à redescendre de la terre réfractaire.

Cette exploitation a commencé vers 1870.

Les chantiers étaient situés à Maupas, Girieu, Chambelain, Creuset, Grand Champ.

La première a été exploitée par Charles Defer pour le compte de la S.A. des Terres Réfractaires.

Messieurs Gadau et Martin de Lyon ont exploité Grand Champ et Chambelain.

 

La terre du Maupas glissait d’abord dans des couloirs de bois. Celle de Girieu dans des tuyaux d’acier de 40 cm de diamètre. Au Grand Champ, il y avait des plans inclinés munis de rais sur lesquelles couraient un wagonnet relié à sa partie supérieure par un câble sans fin. Le wagonnet plein faisait remonter le vide. Puis on installa des câbles à retour sans rails. La terre amenée à la cabine du départ par un wagonnet était chargé dans la benne qui descendait à vive allure à la cabine d'arrivée par la route.

Le chemin étant pénible pour monter à Grand Champ, quelques ouvriers, trompant de surveillance de leurs chefs, utilisait le téléphérique. On raconte qu'un ouvrier de Proveysieux était ainsi un jour tombé dans le ravin.

 

La terre réfractaire se trouve le plus souvent entre les rochers. Pour l'atteindre, il faut creuser des galeries. Ce travail était très dur parce qu'il se faisait en hiver afin que les ouvriers puissent extraire la terre aux premiers beaux jours. Le tunnel de 80 mètres environ de long de la carrière de Girieu fut percé par deux équipes de deux ouvriers, travaillant sans interruption. Ils partaient de Pomarey, raquettes aux pieds, car cet hiver-là étant particulièrement rude, il y eut à Girieu jusqu'à 1m50 de neige. Il leur fallait de bonnes heures pour arriver, et ce pénible trajet s'effectuait de nuit le plus souvent.

 

En 1880 : il existe trois carrières de sables sidérolithiques, dits réfractaires. La présence de cette terre  se révèle par la présence de longs et gigantesques conduits en bois qui la fait descendre du sommet de la montagne jusqu’au niveau de la route. L’exploitation est considérable.  Elle offre du travail pour un grand nombre de villageois et par delà même des bénéfices loin d’être négligeables. Ce commerce amène pourtant quelques désagréments dans la vallée comme par exemple les routes qui commencent à être bien défoncées par le passage des charrois, ou encore la gare de Saint-Égrève qui se trouve encombrée par la terre réfractaire.

 

Les ouvriers des carrières, munis de piques, de pioches, de pelles, travaillaient10 ou 12 heures par jour et environ 20 jours par mois. Ils chômaient le dimanche et certains jours de fête. Le travail durait tant qu'il faisait beau.

 

Pendant la guerre de1914-1918, les ouvriers faisaient aussi des équipes de nuit et travaillaient même le dimanche.

Il y avait une trentaine d'ouvriers venant tous de Pomarey et de Proveysieux. Le soir, ils rentraient chez eux où logeait à Pomarey dans des maisons qu'ils louaient. Pendant et après la guerre, une vingtaine d'Espagnols et de prisonniers allemands vinrent s'ajouter aux ouvriers français. Il est logé au moulin du Guâ.

 

Les ouvriers gagnaient trois francs par jour avant 1914 et 1,50 F environs de l’heure en 1924. Le contremaître gagnait à cette époque 1,80 F. Il y avait un contremaître par chantier. Les jours de paye, la plupart des ouvriers et quelques contremaîtres allaient finir la semaine dans les cafés de Pomarey.

 

Le café Vincent était alors très fréquenté. Les « durs » faisaient des paris et les bouteilles se vidaient. La salle était alors très bruyante et on raconte parfois que cela finissait mal ces gros buveurs ne se doutait pas que trois quarts de siècle après les mêmes murs recueilleraient les ânonnements de lecture et de tables de multiplication des écoliers. Ce sont eux en effet qui nous abritèrent tout le temps que durèrent les longues réparations indispensables à notre école après l’incendie de 1947.

Un tombereau... dessiné par des enfants en 1948. Publié dans "L'écho de Proveysieux".
Un tombereau... dessiné par des enfants en 1948. Publié dans "L'écho de Proveysieux".

Une trentaine de voituriers charriaient cette terre dans de grands tombereaux traînés par des bœufs ou des chevaux. Le voyage était long. Partis à 4 heures du matin, les voituriers n’étaient de retour que vers 14 heures. Ils menaient la terre jusqu’à la gare de Saint-Égrève. Il fallait voir par quel chemin ! La route départementale n’existait pas dans ce temps-là et la voie qu’on empruntait était creusée de profondes ornières. Ils ne faisaient qu’un seul voyage par jour qui leur rapportait 5 francs avant 1914, et 14 à 15 francs par la suite. Ils pesaient leur charge (3 tonnes environ) à la bascule de la Monta, tout récemment rénovée. Déjà en ce temps-là, les voituriers étaient trop nombreux pour la quantité de terre extraite et comme on servait les premiers arrivés, ils se rendaient à la nuit noire à la carrière.

Vers 1917, des camions firent le transport. La lutte devint alors plus âpre car les camions faisaient jusqu’à 4 voyages par jour. Quelques voituriers abandonnèrent leur tâche.

Cette terre était très recherchée, surtout celle de Grand Champ. Elle servait à faire des moules, et on l’expédiait dans des aciéries. Par sa qualité, elle occupait en France le 2èmerang. Elle résistait à des températures de mille degrés.

On en exploitait de trois qualités :

   -  de la grasse et de la demie-grasse dont on faisait des moules.

   -  de la maigre dont on recouvrait les terrains de tennis.

 

Malheureusement, l’exploitation dut cesser au cours de l’hiver 39-40 car la route fut très endommagée par un éboulement.

Nous disons bien « malheureusement » car ce travail était un appoint non négligeable pour les Proveysards car l’agriculture ne faisait vivre aisément qu’un petit nombre de gros propriétaires. Pour les autres, la vie était si dure que tous les jeunes quittèrent le pays.

 

L’exploitation pourrait-elle reprendre ?

« Non » pense la plupart des Proveysards car les transports qui ne s’effectueraient aujourd’hui que par camions feraient monter le prix de la terre, et d’autre part, la remise en route des chantiers exigerait de gros capitaux.

… et cependant, on expédie toujours de la gare de Saint-Égrève de la terre réfractaire de Proveysieux. Les connaisseurs ne s’y trompent pas : celle d’aujourd’hui provient des environs.

(écrit en 1948)