Lionel TERRAY et la Compagnie Stéphane

Lionel Terray et la Compagnie Stéphane (de novembre 1943 à août 1944)

 

Si nous n’allons pas rappeler les grandes lignes de sa vie, nous allons néanmoins apporter quelques informations supplémentaires sur la compagnie Stéphane qu’il avait rejoint en 1944, en tant que maquisard. Aussi, nous attarderons-nous sur la stratégie militaire de la compagnie. Stéphane, au moment de la campagne des Alpes de 1944-1945, sut faire de la montagne une alliée en transformant sa compagnie en unité de haute-montagne, encadrée par les meilleurs alpinistes et skieurs de l’époque – dont Lionel Terray – et d’anciens chefs de l’organisation Jeunesse et Montagne. La compagnie Stéphane forme le 1er bataillon de marche FFI, noyau du bataillon Belledonne à partir duquel sera recréé en août 1944 le 15e bataillon de chasseurs alpins (15ème BCA). Ainsi structurée et entraînée, la compagnie, loin de subir la contrainte du terrain et de l’hiver enneigé de la Haute-Maurienne, conservera toute sa capacité opérationnelle durant la longue veille de décembre 1944 à mars 1945, menant des reconnaissances profondes en territoire italien, acquérant le renseignement nécessaire à l’offensive du printemps qui lui ouvrira les portes de Turin où elle sera la première à entrer.

 

Ces précisions nous ont été données par Germain Navizet, 85 ans, ancien chef de groupe de la Cie Stéphane. Il a commandé Lionel Terray. C’est d’ailleurs ce même Germain Navizet qui avait ramené le corps sans vie du Lieutenant Fiancey, tué lors de l’attaque du Fort de la Bastille, au Mont Rachais, le 27 juillet 1944. Cet épisode sera développé ultérieurement. La compagnie Stéphane a vu le jour à Planfay, chez lui. Une étoile, emblème de la compagnie, orne la façade de sa maison.

 

 

« Stéphane » était le nom de résistant du capitaine Étienne Poitau (1919-1952). Celui-ci apparaît comme un chef des plus exigeants, ce même chef qui ne tolère pas la moindre défaillance, notamment au combat. Mais surtout, ses hommes sont marqués par le profond respect que leur témoigne un chef particulièrement attentif à préserver leur vie. « 20 ans sont nécessaires pour faire un homme, et cela n’a pas de prix ! » disait le capitaine Stéphane. Il était hanté par les pertes humaines au sein de sa compagnie et ne concevait pas qu’un de ses chefs de groupe se permette d’avoir des tués au combat. Il va ainsi se donner les moyens de minimiser ses pertes par une préparation minutieuse des opérations et un entraînement particulièrement rigoureux. Et cet effort s’avérera payant puisque la compagnie ne comptera que 12 tués pour 69 opérations de guerre menées sur l’ennemi, alors qu’elle comptera jusqu'à 136 hommes répartis en 9 groupes.

 

« La sueur épargne le sang »

Pour limiter les pertes, Stéphane fait sienne cette devise du général russe Dragomirov, reprise par Lyautey. On retrouve dans cette préoccupation, le premier principe défini dans son ouvrage « Guérilla en montagne » qui fera référence : l’aguerrissement des corps et la formation des esprits. Les « Stéphane » sont donc soumis à un entraînement des plus sévères, qui leur fera dire au moment du combat : « C’est quand même moins dur qu’à l’exercice ! » Cet entraînement consiste en marches incessantes en montagne, d’exercices d’alerte, d’orientation… Stéphane met également l’accent sur l’entraînement au tir : « une balle, un homme ! » avec de nombreuses séances. À ce sujet, il apparaît que si Lionel Terray était un bien piètre tireur (il mettait peu de balles dans la cible), il était par contre bien meilleur dans la tactique montagnarde : c’est d’ailleurs lui qui enseigna à ses compagnons l’art de la montagne.

 

Ne pas subir

L’entraînement intensif contribue à maintenir la compagnie dans un état de qui-vive permanent. « Il ne faut faire, dit-il, ni ce qu’on attend de nous, ni le contraire, mais tout autre chose. » La vie de la compagnie est faite de nomadisations incessantes, d’exercices des plus originaux, de coups d’éclats dans les maquis voisins qui maintiennent les hommes dans une préparation opérationnelle permanente.

 

La guerre du faible au fort : la guérilla

Le propre de la guérilla est d’affronter, avec des moyens réduits, une force conventionnelle largement supérieure. Il faut donc compenser la faiblesse numérique et matérielle par la ruse, le « bluff », l’utilisation judicieuse du terrain, une rusticité et une endurance au-dessus de la moyenne. Il s’agit aussi de gagner les populations à la cause que l’on défend.

Stéphane se refusait d’utiliser la population civile comme base de repli et de camouflage… En effet, l’imbrication avec les populations civiles finit toujours par entraîner des représailles sur les personnes que l’on est censé libérer. La compagnie Stéphane, au contraire, vit loin des habitations, en autonomie, sans contact extérieur. Elle échappe ainsi aux ratissages, évite le cycle infernal attentat-répression et gagne en retour une immense réputation auprès des villages de sa zone d’action.

 

Respect de l’adversaire

La deuxième tentation de la guérilla est de s’affranchir du respect des lois de la guerre. En effet, combattant sans uniforme, considérée par l’ennemi comme terroriste, il peut lui sembler plus efficace de passer outre certaines règles contraignantes. Stéphane choisit l’attitude inverse. Respectueux de l’adversaire, il traite les prisonniers conformément à la Convention de Genève. Il fait savoir aux Allemands qu’il ne les attaquera jamais dans les villages, mais exige en retour qu’ils ne commettent pas de représailles. Et les Allemands jouent le jeu ! De même, il considère la destruction de l’ennemi comme un échec : « Vaincre pour nous, dit-il, ce n’est pas détruire mais convaincre, c’est transformer l’adversaire en auxiliaire et non en charogne. Un pays ravagé, les hommes massacrés, quelle défaite pour un vainqueur. Notre objectif est de refaire l’unité de notre peuple dans la liberté ; notre ennemi, c’est l’équipe nazie au pouvoir plus encore que l’Allemand... » Il cherchera toujours à éviter le sang inutilement, témoignant ainsi d’un profond respect de la personne humaine.

 

Leçon de tactique

Pour tromper l’ennemi, Stéphane développe aussi un art consommé du camouflage, du « bluff », multipliant les faux bivouacs, les feux de camps dans tout le massif de Belledonne, et en se déplaçant sans cesse. Cette action va s’avérer payante puisque les rapports allemands de cette époque estiment que les effectifs de la compagnie sont dix fois supérieurs à ce qu’ils étaient en réalité. Une fois bien renseigné sur l’ennemi et ses mouvements, une fois cet ennemi trompé sur nos propres capacités, il reste à l’attaquer. Nous avons déjà parlé de la priorité accordée par Stéphane à la pratique du tir, en ce qui concerne l’entraînement de ses hommes. Au combat, une place prépondérante est donnée à la discipline du feu, facteur essentiel pour la réussite de l’embuscade. Celle-ci est le procédé majeur utilisé pour la pratique de la guérilla, l’objectif étant, dans la plupart des cas, un axe de communication emprunté par l’ennemi. Stéphane sait aussi tirer profit du milieu dans lequel il évolue. D’abord localisée en Chartreuse, sa compagnie quitte ce massif trop compartimenté, traversé par des falaises abruptes qui pourraient interdire les mouvements de repli. Stéphane installe alors ses hommes en Belledonne, où ses pentes régulières relient les axes de communication de la vallée du Grésivaudan – lieux des futures embuscades – aux forêts du massif, refuges pour les groupes.

Étienne Poitau était chevalier de la Légion d'honneur, médaillé de la Résistance, titulaire de cinq citations, dont trois à l'ordre de l'armée. Son nom a été donnée à la promotion 1992-1995 de l'École spéciale militaire de Saint-Cyr. Aujourd'hui encore, la 5ème Compagnie de réserve du 13ème BCA se nomme la compagnie Stéphane, à la mémoire des Stéphanes et de leur chef; elle est la seule compagnie de réserve en France à avoir hérité du nom et des traditions d'une compagnie de résistants.

(à suivre)

Voir : http://fr.wikipedia.org/wiki/Etienne_Poiteau

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